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Quelle insertion de l'Afrique
dans les réseaux mondiaux ?
(3/6)

Une approche géographique

par Annie Chéneau-Loquay,
texte mis à jour : novembre 1999

[1. Introduction] [2. Service de base] [3. Nouveaux réseaux] [4. Conclusion] [5. Annexe] [6. Références]

Nouveaux réseaux, nouveaux marchés, nouveau sésame pour le développement ?

Le développement des "nouvelles" technologies de l'information pose indéniablement un défi dans la mesure où elles diffèrent profondément des réseaux matériels de communication sur lesquels s'est fondé le développement industriel. Gene. I. Rochlin montre qu'elles modifient profondément les règles de fonctionnement des sociétés et des territoires16. De par leur nature, elles changent simultanément les lois de fonctionnement, la répartition des responsabilités et des pouvoirs. Ces systèmes présentent des affinités avec les réseaux sociaux supports des grands courants d'échanges trans-africains. Ils sont : - intrinsèquement transfrontaliers alors que les réseaux traditionnels étaient conçus à un niveau national ou régional ; - différenciés horizontalement avec de fortes relations entre systèmes plutôt que différenciés verticalement et faiblement reliés ; - obéissant autant à des règles d'auto-organisation qu'à des règles de conception centralisée ; - caractérisés enfin par la diffusion du pouvoir de gestion et de commandement au lieu d'une concentration de ce pouvoir au sein d'une organisation hiérarchisée (Rochlin G.I., 1995).

Dans la "rugosité" des territoires africains, quelles seront les conséquences de tels changements ?

Une priorité, mais comment procéder ?

Le rôle du facteur technologique dans le développement, souvent éludé dans les années quatre-vingt avec les premiers programmes d'ajustement structurel, semble reprendre de l'actualité à propos des technologies de l'information et de la communication, qui seraient par nature radicalement nouvelles et portent tous les mythes du post modernisme, liés a l'abolition des distances et du temps. Déjà dans les années soixante / soixante-dix, la télévision éducative a illustré la croyance occidentale selon laquelle la technologie permet de résoudre nombre de problèmes et de "brûler les étapes" pour rattraper les pays riches17. Il en est à nouveau question aujourd'hui mais dans la perspective dominante de la concurrence marchande sous prétexte de mondialisation obligatoire.

A peu près tous les grands organismes internationaux, de l'ONU ou de Coopération régionale ont revu leurs politiques sous l'angle d'une priorité à accorder aux NTIC. Des réseaux de communications corrects, une connectivité à Internet et des contenus innovants sont proclamés comme cruciaux pour le développement de l'Afrique, mais comment procéder ?

Pour inciter les Etats à s'engager dans les réformes, ces organismes ont développé un discours utopique sur la révolution du troisième millénaire, dans la ligne de certains auteurs médiatiques et tout d'abord de celui du vice-président des Etats-Unis, Al Gore, sur une infrastructure globale de l'information18. Parmi plusieurs exemples, celui du Coordonnateur Mondial des Pôles Commerciaux des Nations-Unies est très caractéristique, il s'agit de saisir rapidement les nouvelles opportunités sous peine d'être englouti : "L'économie mondialisée génère de nouveaux mécanismes d'exclusion. Pour combattre ou limiter leurs effets, il convient de s'attaquer non aux manifestations de l'inéquité mais à sa source. Dans un monde où la compétitivité des entreprises et des économies nationales se fonde de plus en plus sur une base servicielle (et non plus manufacturière ou de produits de base), l'Afrique semble a priori plus mal partie que jamais. Un élément nouveau est toutefois venu bousculer les équations traditionnelles du développement inégalitaire : le paradoxe des technologies de l'information, dont le coût n'a cessé de diminuer à mesure que croissait son importance stratégique et sa puissance. La possibilité d'un véritable "bond en avant" est désormais une réalité à portée de main des économies africaines" (Bruno Lanvin19).

Dans la même veine, la Banque Mondiale dramatise le propos pour inciter à "la révolution de l'information qui offre à l'Afrique une opportunité dramatique de bondir dans le futur, de rompre des décades de stagnation et de déclin. L'Afrique doit saisir rapidement cette chance. Si les pays africains ne parviennent pas davantage à tirer avantage de la révolution de l'information et à surfer sur la grande vague du changement technologique, ils seront submergés par elle. Dans ce cas, ils risquent d'être encore plus marginalisés et économiquement stagnants dans le futur qu'aujourd'hui" (Banque Mondiale, rapport sur le développement d'Internet, mars 1995).

Il s'agit de promouvoir les nouvelles technologies pour le plus grand nombre mais dans la plupart des initiatives internationales, G7, INFODEV de la Banque Mondiale, CEE, IUT, une seule solution est proposée : ces technologies sont présentées avant tout comme le nouveau sésame pour parvenir au développement grâce aux seules vertus de l'insertion dans le marché mondial. Selon les experts de la Banque Mondiale qui préconisent la dérégulation il s'agit de faire émerger du secteur informel des gisements de solvabilité et de mobiliser des capitaux privés dans tous les domaines même dans celui des infrastructures. Pour Elkyn Chaparro, du Département du développement des finances et du secteur privé, de la Banque Mondiale à Washington. "La concurrence mondiale dans le domaine des NTIC a pour effet de baisser les coûts de la transmission de l'information et du matériel informatique. Cette évolution serait la chance de l'Afrique, à condition que celle-ci suive le mouvement de la déréglementation et de la libéralisation économique. La Banque Mondiale, en faisant de l'essor de société de l'information un de ses nouveaux axes prioritaires, veut devenir une force pour faciliter l'expansion des NTIC"20.

Le rapport de 1998 de l'IUT est une ode à la privatisation. Pour l'UIT le principal motif de satisfaction pour les télécommunications africaines est la privatisation partielle des "opérateurs historiques" de téléphone fixe en Côte d'Ivoire, Sénégal, Guinée, Ghana et en Afrique du Sud qui tous ont introduit dans leur capital des investisseurs étrangers stratégiques et ont établi des plans de développement de quelques 20 % par an de la télédensité. D'autres pays, le Ghana, l'Ouganda, ont accordé des licences à un second opérateur et on souligne le fait qu'il y a du profit à faire avec l'importance des communications internationales. Pourtant, la majorité des grands opérateurs internationaux ne situent pas l'Afrique subsaharienne dans leur plan stratégique.

Le téléphone mobile, des opérateurs privés multiples s'introduisent sur un marché qui s'ouvre (Carte 6)

Les systèmes mobiles mondiaux de communication personnelle contribuent à l'accélération des processus de régulation des télécom-munications. Les sociétés de télécommunication font du GSM l'une des vitrines des services offerts. Les prix de la téléphonie cellulaire sont encore très élevés par rapport au système filaire, mais ils vont diminuer avec l'élargissement du marché dans les villes et la concurrence.

En 1990, seuls les trois pays du Maghreb, l'Égypte, l'Afrique du Sud, le Zaïre et le Gabon avaient des systèmes de téléphonie cellulaire et en huit ans il ne reste plus que les pays de la frange sahélienne (Mauritanie, Niger, Tchad, Erythrée Ethiopie, Somalie), la Sierra Leone et le Liberia qui ne soient pas encore concernés21. La carte et le tableau montrent une forte progression des installations en 1994-95 avec l'implantation du système numérique GSM, le réseau terrestre global de communications mobiles, qui permet de téléphoner dans le monde entier avec le même terminal et d'enregistrer des messages vocaux.

L'introduction de la téléphonie cellulaire en Afrique :

  • 1985 Tunisie
  • 1986 Afrique du Sud - Zaïre - Gabon
  • 1987 Égypte
  • 1989 Ile Maurice - Algérie - Maroc
  • 1992 Nigéria - Sénégal - Ghana
  • 1993 Burundi - Kenya
  • 1994 Angola - Cameroun - Gambie - Ghana - Madagascar - Tanzanie - (Maroc) * - (Afrique du Sud) - (Zaïre)
  • 1995 Bénin - RCA - Lesotho - Namibie - Tanzanie - Ouganda - Zambie
  • 1996 Côte d'Ivoire - Malawi - Mali - (Sénégal) -Congo -Burkina Faso
  • 1997 Mozambique - Zimbabwe -Guinée
  • 1998 Botswana
*() année d'introduction du système GSM dans des pays déjà équipés;

Le Zaïre, archétype du pays où les installations classiques sont depuis plusieurs années hors d'usage, a été pionnier en ce domaine. Dès 1986 l'opérateur privé africain Telecel installait à Kinshasa les premiers téléphones cellulaires, puis le réseau s'est étendu à Lubumbashi en 1992, Goma en 1993, puis Bukavu en 1996. Cette société a ensuite développé ses activités dans plusieurs pays, au Burundi en 1993, à Madagascar en 1994, en République Centrafricaine en 1995, en Zambie en 1996, en Côte d'Ivoire où elle aurait conquis 85 % du marché22.

L'Afrique du Sud compte parmi les dix pays les mieux équipés du monde avec un million d'abonnés en 1998 et un réseau cellulaire qui couvre la totalité du pays grâce en particulier à l'utilisation de téléphones radio à installations fixes. Le radio mobile pour abonnés fixes a l'avantage de coûter moins cher en installations même si le service est plus cher (voir Jean Marchal, les solutions techniques). Ce système implique des relais tous les 50 ou 100 kilomètres et suppose des subventions pour des cabines communautaires (15 000 en 1997). Au Ghana, Capital Telecom a installé des systèmes d'abonnés hertziens en mode stationnaire qui sont conçus pour desservir jusqu'à 50 000 abonnés dans les zones rurales en 1998. La Côte d'Ivoire dispose aussi d'un réseau couvrant depuis la terre toute sa côte ; le réseau Motorala dessert Abidjan sur un rayon de 80 km et couvre les grands faubourgs populaires qui abritent de nombreuses entreprises.

En Guinée, 300 cabines publiques GSM sont mises en service par ALCATEL depuis septembre 1997 à Conakry et à Kamsar dans la région côtière. Aujourd'hui, dans ce pays où l'Etat est très largement incapable de contrôler l'économie, la société privée qui a repris la société nationale d'électricité se révèle largement impuissante à reconstruire le réseau électrique de Conakry tellement les branchements pirates ont proliféré, (3 à 400 km, 64 % des branchements frauduleux), et la plupart des habitants ne conçoivent pas de payer une facture d'électricité. Par contre, l'opérateur malaisien qui a repris la société de télécommunications est parvenu à réorganiser le réseau en coupant les lignes des mauvais payeurs, en plaçant des clés numériques, en installant des systèmes hertziens en attendant de généraliser le cellulaire ce qui a permis au début 92 % de recouvrement. Les petites villes et ensuite les bourgs ruraux devaient être équipés de cabines cellulaires. Alors qu'il avait été impossible de réorganiser ce secteur depuis l'ouverture du pays en 1984, l'installation des moyens les plus modernes pouvait permettre un saut technologique réel mais qu'en serait-il de la maintenance et de l'entretien postérieur ? Le succès a été fulgurant, 10 000 abonnements auraient été souscrits, mais après deux ans, en avril 1999, la situation s'était à nouveau dégradée ; les relations sont mauvaises entre les Malaisiens et les Guinéens au sein de la société, ALCATEL a quitté le pays, les téléphones cellulaires sont trop nombreux par rapport à l'équipement installé, on revient au vieux système radio, la SOTELGUI est toujours en déficit et Internet fonctionne très mal. Une privatisation brutale, l'absence de société civile et d'un Etat de droit dans ce pays continuent de compromettre la quot;reconstruction"23.

Ainsi, à l'instar des pays développés, toutes proportions gardées, les réseaux cellulaires connaissent en Afrique de l'Ouest, un développement spectaculaire et les abonnements dépassent les prévisions les plus optimistes des opérateurs qui sont confrontés à des saturations et donc à des contraintes d'urgence d'extension et ce, malgré une timide politique commerciale. Au Bénin, on a compté 2 500 abonnés en moins de 8 mois (réseau analogique AMPS), au Burkina Faso, 900 abonnés en moins d'un an (réseau numérique GSM), en Côte d'Ivoire, 15 000 abonnés en moins d'un an (3 opérateurs privés, réseau numérique GSM)24. En Côte d'Ivoire en avril 1999, les abonnés au téléphone mobile étaient aussi nombreux que les abonnés au téléphone fixe (150 000).

Internet : un réseau qui s'étend rapidement (Carte 7-8-9 )

Les trois cartes montrent la progression de l'accessibilité à Internet25.

La carte 7 montre qu'en août 1996, quatre pays seulement, l'Afrique du Sud, le Kenya, l'Égypte et la Tunisie possédaient des circuits internationaux supérieurs à 64 Kb. En septembre 1997, 36 pays avaient des accès complets et un an après, en août 1998, seul le Congo n'avait encore qu'un accès au e-mail. Des plans étaient en place en République du Congo, Gambie, Liberia, Sierra Leone, Cap Vert, São Tomé et Principe, en Libye, en Erythrée et en Somalie, devant ainsi compléter l'accès du Continent tout entier. En mars 1999, seuls le Congo et la Somalie n'étaient pas encore desservis. Les liaisons ont donc considérablement progressé en extension et en volume sous l'effet d'initiatives à la fois nationales et internationales.

Le réseau intertropical d'ordinateurs (RIO) a été pionnier en Afrique francophone en offrant un service au chercheurs de l'ORSTOM et des organismes associés à partir de 1986. L'AUPELF-UREF a utilisé le Minitel pour construire un réseau pour les universitaires francophones. (voir le texte sur l'histoire d'Internet de Pascal Renaud). De son côté le "Network Startup Resource Center" (NSRC) des Etats-Unis a travaillé en Afrique du Sud de 1988 à 1991, avec Rhodes University pour établir la première connexion en montant la chaîne de technologie - FidoNet, UUCP, et enfin le premier lien TCP/IP (9.6 kbps) dans la région (http://www.nsrc.org/). Des ONG ont aussi travaillé dans ce sens. A partir de 1996, l'Initiative Leland de l'USAID a proposé des liaisons à une vingtaine de pays à travers un programme de 15 millions de dollars, application de l'idée d'une infrastructure globale de l'information lancée par le vice président américain Al Gore. Ce programme voulait à l'origine accorder 500 000 dollars à une vingtaine de pays pour des accès à 128 kb, mais sans établir de relation avec l'opérateur national. Une assistance en équipement, expertise, formation et accès gratuit pendant un an était prévue à condition que les pays s'engagent à libéraliser leur marché. En fait, la plupart des pays africains n'ont pas accepté les offres de Leland qui a du changer de politique. Sept pays seulement ont fini par accepter l'offre et ce ne sont que des opérateurs nationaux. "Les sociétés et les ONG qui montent les ISP ne voulaient rien avoir à faire avec Leland, qui a donc modifié son programme pour établir les portes d'entrée aux opérateurs publics. Il n'y a que le Mali et le Bénin qui aient accepté les offres de Leland sans trop tergiverser mais dans les autres pays ce fut très difficile à réaliser. En vérité, l'histoire du projet Leland est très compliquée" (selon Steven G. Huter NCSR le 25 juin 1998). D'abord concentrée en Afrique de l'Est, Leland s'est étendue aux pays francophones.

Les liaisons Internet se font d'abord avec la capitale. Une dizaine de pays offrent des liaisons dans la ville secondaire mais au tarif très élevé des appels à longue distance . L'Afrique du Sud ouvre ainsi des accès dans 45 villes. Par contre dans onze pays l'opérateur de télécommunications joue le jeu d'un accès universel en créant un code spécial qui permet de se connecter à Internet au coût de la communication locale dans le pays tout entier. C'est le cas au Burkina, au Gabon, au Malawi, à Maurice, en Mauritanie, au Maroc, au Niger, au Sénégal, au Tchad, en Tunisie et au Zimbabwe.

Quelle emprise en Afrique ?

Si en quelques années, le réseau Internet est devenu le plus grand réseau informatique mondial, paradoxalement pour un outil aussi médiatique, l'évaluation de son emprise est ardue (voir Michel Elie, "Décrypter les chiffres de l'Internet"). On peut se référer à trois indicateurs, les hébergements ou sites, les adresses e-mail et les utilisateurs.

Un des indicateurs le plus fréquemment utilisé est la variable machine, ("host" en anglais) site qui désigne selon la définition donnée par Michel Elie, l'ensemble des ressources effectives attachées à une adresse IP et correspondant à un nom de domaine, il traduit le mot anglais "host" tel qu'utilisé dans les statistiques de Network Wizard (voir Michel Elie).

Un site n'est donc pas à assimiler avec un "site web", affichage de contenus sur Internet, une machine connectée peut ou non comprendre un site web. L'Afrique du Sud compte de loin le plus grand nombre de sites du continent, 100 000 en 1997, 140 000 fin 1998.

Le nombre total d'ordinateurs connectés à Internet (hôte) en Afrique à l'exclusion de l'Afrique du Sud, atteint les dix mille au début de 1999. Selon Network Wizards la croissance a atteint 36 % en six mois depuis juillet 1998, (de 7 800 à 10 700). Le chiffre doit être fin 1999, de l'ordre de 12 à 15 000 en tenant compte des serveurs qui ne sont pas référencés sous des noms de domaines géographiques. Ceci représente environ un hôte pour 75 000 personnes soit 0.024 % du total mondial estimé à 43 millions. La croissance africaine est quasiment double de celle du reste du monde : 18 %. Mais on peut dire aussi que l'Afrique a autant de sites que la Lituanie qui compte 2.5 millions d'habitants (Mike Jensen).

Désormais avec l'augmentation du nombre des utilisateurs, on essaie de mesurer la pénétration d'Internet par rapport à la population, c'est la carte 8. La définition des "utilisateurs" et des "abonnés" varie. Selon les données de Network Wizard, (voir le tableau en annexe), l'Afrique aurait compté 428 000 abonnés en mars 1999. Mais le nombre de comptes partagés ou de boites aux lettres sur un même abonnement en Afrique est beaucoup plus élevé que dans beaucoup de pays développés. Le nombre d'adresses e-mail varie entre 700 000 et un million dont la plupart, 600 000, sont en Afrique du Sud (NUA Internet Surveys), mais selon Mike Jensen, on pourrait pousser le nombre d'utilisateurs jusqu'à deux millions, l'Afrique représenterait alors environ 1% du total mondial, avec 12% de la population.

L'Afrique du Sud se plaçait en 1998 au 16e rang des 159 pays équipés du monde avant l'Autriche, la Nouvelle Zélande ou le Brésil. L'Afrique anglophone est nettement mieux équipée que l'Afrique francophone, mais la Côte D'Ivoire, le Sénégal, le Mali se montrent particulièrement dynamiques.

La maturité du marché du service Internet se mesure au nombre de fournisseurs d'accès en compétition. Les pays qui en ont plusieurs ont le plus grand nombre d'utilisateurs : l'Egypte, le Maroc, le Zimbabwe, le Kenya, le Mozambique, la Tanzanie et en Afrique de l'Ouest, la Côte d'Ivoire, le Ghana, le Sénégal. Arrivent ensuite le Bénin, le Cameroun, Madagascar et le Nigeria dont le marché commence à peine à se développer.

Si quelques circuits se connectent au Royaume-Uni et en France, la plupart se connectent aux États-Unis où les principaux fournisseurs de service sont : ATT, Global One, UUNET, Alternet, MCI, NSN, Sprint et BBN. France Télécom FCR dispose de plus de connections avec l'Afrique que tout autre fournisseur en raison des liens étroits avec l'Afrique francophone.

En dehors de la fibre optique du câble Marseille-Singapour par laquelle l'Afrique du Sud se relie via Djibouti, la plupart des autres connections se font par satellites, sauf pour les pays frontaliers de l'Afrique du Sud qui se connectent directement à elle.

En Afrique du Sud

L'Afrique du Sud constitue encore une fois une exception, car il y existait déjà 27 fournisseurs d'accès à la fin de 1995 (Johannesburg, Durban, Cape Town, Pretoria), plus des cybercafés (Johannesburg, Cape Town). Ce démarrage est venu entre autres choses de secteurs spécialisés comme celui du pétrole, qui disposait d'applications intéressantes pour les investisseurs et hommes d'affaires (notamment African Information Database au Cap, sur l'Afrique et le secteur pétrolier africain) ou la presse (the Star à Johannesburg) gérée par le journal the Star et South African Times, qui offrent l'édition électronique du Star et d'autres journaux du pays, et aux nouvelles de la South African Broadcasting Corporation et de Channel Africa. Les universités, le Parlement, la ville du Cap, et d'autres institutions sont aussi accessibles par Internet.

L'Afrique du Sud et ses voisins (Zimbabwe, Zambie et Swaziland) utilisent comme fournisseur d'accès Internetworking Africa.

Celle-ci assume très nettement une position de pilote à l'échelle régionale, et semble vouloir s'appuyer sur ce secteur pour faire évoluer sa situation tant économique que politique, ainsi que pour jouer le rôle de pôle d'attraction et de développement régional que lui souhaitent ses autorités. Elle a "retrouvé sa place dans l'UIT et sa participation active dans l'Union panafricaine de télécommunications (PATU) et dans la SATCC, la communauté de transport et de télécommunication en Afrique australe, est imminente"26. Elle a lancé un cri d'alarme au cours du G7 de Bruxelles (24-26 février 1995) sur la situation déplorable et s'est positionnée comme partenaire privilégié des instances internationales décidées à oeuvrer dans ce domaine, comme par exemple l'Union Européenne. Cette dernière, qui encourage l'intégration régionale sur les autres continents, fait des télécommunications un élément important de sa démarche.

Ainsi, l'UE a aidé la SADC, dont l'Afrique du Sud est membre à part entière, à hauteur de 120 millions d'ECU pour la période 90-95, avec pour premier poste les Transports et Communications27. L'Afrique du Sud vise en outre une intégration totale ou partielle à la Convention de Lomé, qui lui permettrait de faire le lien, au moins sur une partie du Continent, entre les pays avancés et les autres. Elle a pris des initiatives supplémentaires au niveau du G7, notamment en organisant en 1996 une Conférence sur la société de l'information et les PVD, assistée par la Commission Européenne.

En cherchant à s'intégrer totalement ou partiellement à la Convention de Lomé, en proposant sa candidature à des projets ouverts par le G7 à des partenaires extérieurs, notamment en soulignant indirectement son refus de devenir simple utilisateur de ces technologies de pointe, elle se positionne comme un partenaire dont il faudra tenir compte.

Câbles ou satellites ?

La demande de réseaux à large bande atteint à l'échelle mondiale une ampleur sans précédent. Le boom de la demande liée au web a été particulièrement remarquable en 1998 : pour la première fois le trafic de données à travers l'Atlantique et le Pacifique a été plus important que le trafic téléphonique. La demande mondiale est portée par Internet mais aussi par la déréglementation, avec plus de 4 000 nouveaux opérateurs qui ont pour objectif de proposer à leurs clients une capacité de transmission peu coûteuse et de qualité. Après une guerre sans merci qui a duré une trentaine d'années, les câbles optiques et les satellites s'avèrent aujourd'hui complémentaires28.

On fait de plus en plus appel aux satellites pour raccorder des zones isolées et pour assurer une couverture nationale et internationale. Au Zaïre, Telecel utilise INTELSAT pour relier entre eux ses systèmes cellulaires dans six villes et pour offrir des services interurbains et internationaux. Au Ghana, la société Milicon a loué des lignes à INTELSAT pour raccorder ses réseaux cellulaires d'Accra et de Kamasi et envisage d'en faire autant pour d'autres villes.

L'extension des réseaux internationaux passe par leur numérisation, qui offre une meilleur qualité de services, un moindre entretien et, probablement, un coût unitaire (par ligne) plus bas. Il existe plusieurs projets concurrents dont un projet initialement lancé par AT&T et rejoint par ALCATEL, d'installation d'un réseau sous-marin en fibre optique formant un anneau autour de l'ensemble du continent. D'une ampleur de plus de 39 000 kilomètres, Africa One peut être intégré à d'autres technologies pour raccorder toutes les nations africaines, y compris les pays intérieurs. De plus, Africa One constituerait une liaison directe entre le Continent et des pays non africains tels que l'Italie, le Portugal, la Grèce, l'Arabie Saoudite et l'Espagne, et assurerait la pleine connexion avec le reste du monde par des câbles intercontinentaux. Mais se pose le problème d'aller chercher les utilisateurs, du raccordement.

Le câble est adapté aux zones côtières densément peuplées mais renforcerait les structures géographiques existantes en accentuant le déficit relatif du reste du pays. Les satellites de communication sont par contre plus géographiquement égalitaires. Le choix entre le câble, les satellittes ou l'association des deux se pose donc pour l'Afrique. Le réseau d'Africa One reçoit le soutien de la Regional Africa Satellite Communications Organization (RASCOM) et de l'Union Panafricaine de Télécommunications (UPAT), mais la mobilisation des financements pose encore problème car AT&T n'assurerait que 20 % du coût29 ?

Les systèmes satellitaires à basse orbite peuvent permettre à la fois d'équiper en télécommunications les zones rurales peu peuplées et de fournir à une élite des accès directs par un système de décodage. Dans une économie de marché, le choix appartient davantage au vendeur qu'à l'utilisateur mais les Etats ont aussi un rôle à jouer pour promouvoir un service universel. L'organisation RASCOM est issue d'une initiative africaine qui affiche sa volonté de s'affranchir de la dépendance du Continent vis-à-vis du reste du monde dans le secteur des télécommunications ; elle se présente comme "la solution africaine formulée par les pays africains pour répondre à leur besoins spécifiques tels que identifiés par eux mêmes"30. Créée en 1992, RASCOM regroupe aujourd'hui 43 pays africains31 (l'Afrique du Sud ayant rejoint le groupe le dernier en mai 1997). La mission qu'elle s'est fixée est de mettre à la disposition de chaque pays africain des moyens efficaces et économiques de télécommunications et de répondre aux besoins de ces régions en matière de radiodiffusion sonore et télévisuelle par le recours à des technologies appropriées, en particulier des communications par satellites convenablement intégrées aux réseaux existants (Anne Ducreux32).

Des études de l'UIT pour RASCOM montrent que de tels systèmes peuvent être rentables en Afrique en zones peu peuplées. De petits terminaux terrestres pour des cabines téléphoniques à très faible coût installées à moins de cinq kilomètres des zones habitées (avec de petites antennes et des panneaux solaires peu coûteux) pourraient être développés à grande échelle. Ainsi les technologies numériques seraient accessibles aux plus pauvres. Cette option tarde à être mise en place et le risque existe que ces technologies soient réservées à une clientèle plus retreinte mais beaucoup plus solvable. L'échec récent d'Iridium qui visait ce type de clientèle (voir le texte de Jean Marchal) peut remettre en vigueur l'idée de développer plutôt la téléphonie rurale ? Les décisions de RASCOM butent sur les difficultés d'une entente entre les Etats et sur celle de réunir les financements nécessaires.

Les accès à la télévision par satellite se multiplient un peu partout en Afrique dès qu'il y a l'électricité, dans les petites villes des "cinémas" s'ouvrent qui proposent des programmes de chaînes étrangères. Des projets de téléphonie rurale voient le jour . Il en existe dans la vallée du Fleuve Sénégal, région de fortes migrations, pour équiper 60 villages en télécommunications.


Notes

16. "Pris dans la toile : réseaux, mutations et conformité à l'ère l'informatique". Gene I. Rochlin, energy and ressource group et Institute of government studies, University of California, Berkeley. dans actes du colloque technologies du territoire, Paris, 25 et 26 septembre 1995, Groupement de Recherche 903, Réseaux - CNRS.[retour]

17. Yvonne Mignot Lefèvre a montré combien les relations entre technologies de la communication et développement ont une histoire déjà ancienne au Sud, marquée par la mythologie du progrès linéaire. Voir les deux numéros de la revue Tiers Monde 1987 et 1994 qu'elle a dirigés (références en bibliographie). [retour]

18. Pour les plus connus : - Alvin Tofler ("La troisième vague" et "Guerre contre guerre"), - Nicolas Negroponte ("L'homme numérique") - et le discours du vice-président des États-Unis Al Gore sur une infrastructure globale de l'information à l'Union Internationale des Télécommunications à Buenos Aires le 21 mars 1994. Relayés en France par Joël De Rosnay ("L'homme symbiotique").[retour]

19. "L'Afrique qui gagne" communication au colloque l'Afrique et les nouvelles technologies de la communication, Genève 17 octobre 1996, repris dans le CD-ROM "Internet au Sud".[retour]

20. "Concurrence mondiale et NTIC : la chance de l'Afrique" colloque L'Afrique et les NIT, Fondation du devenir octobre 1996. Discours de Elkyn Chaparro, Département du développement des finances et du secteur privé, Banque Mondiale, Washington <http://www.anais.org>.[retour]

21. selon les données d'African cellular system <http:// cellular.co.za./africa-cellsystems.html> [retour]

22. Selon une étude de Telex confidentiel (n° 298, décembre 1996).[retour]

23. "Des stratégies internationales aux usages locaux, quels sont les enjeux de l'insertion de l'Afrique dans les reseaux de communication mondiaux ?" Chéneau-Loquay A., in colloque EADI, 1999. [retour]

24. Lettre n° 1 de l'Observatoire des Télécommunications Africaines, septembre 1997. [retour]

25. Pour tout ce qui concerne l'installation d'Internet, il faut se référer au travail très précis de Mike Jensen qui met constamment à jour les données, globalement et par pays et qui renvoie à d'autres sites traitant de la question, à l'adresse : <http://demiurge.wn.apc.org:80/africa/afstat.htm>.[retour]

26. Hegel Goutier, "Pays en développement : pour ne pas rester au bord de l'autoroute", I&T Magazine, n° 18, oct. 1995.[retour]

27. L'aide de l'Union Européenne en matière de télécommunications pour les pays ACP relève du FED (Fonds Européen de Développement), et éventuellement d'interventions de la BEI (Banque Européenne d'Investissement), de capitaux à risque, et de bonifications d'intérêts sur les ressources du FED, gérés par lui-même. Le développement des services ruraux et le matériel de transmission par satellites sont des interventions privilégiées. C'est la Direction générale "Développement" de la Commission qui assure la gestion du FED, qui oriente son action essentiellement en direction des infrastructures. Les aspects de R&D et de diffusion des technologies innovatrices sont pris en charge par la DG XIII. [retour]

28. News link, le magazine international d'Alcatel, vol VI n°2, 2ème trimestre 1999, dossier "Le boom des réseaux sous-marins".[retour]

29. Voir Michel Hegener sur Internet, mh@nrc.nl>.[retour]

30. Présentation de RASCOM lors de la Conférence sur la connectivité globale en Afrique, Addis Abeba, 2-4 juin 1998.[retour]

31. Tous les pays africains à l'exception du Bostwana, la Guinée Equatoriale, l'Erythrée, le Rwanda, Madagascar, le Maroc et la Somalie.[retour]

32. Les satellites une solution pour l'Afrique, par Anne Ducreux, Ecole Nationales des Ponts et Chaussées 1997).[retour]

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Responsable du projet :
Annie Chéneau-Loquay
Directrice de recherche CNRS
CEAN (UMR CNRS-IEP)
Maison des Suds
12 Esplanade des Antilles
F- 33607 PESSAC CEDEX
a.cheneau-loquay@sciencespobordeaux.fr

Responsable du site web :
Raphaël Ntambue
CEAN (UMR CNRS-IEP)
Maison des Suds
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