Logo du CNRS Logo de l'UMR CEAN Afrique et télécommunications


Le projet Africa'nti Problématique Résultats de recherche L'actualité du projet Les liens

Page d'accueilRechercher sur ce site
Nous envoyer un message

Quelle insertion de l'Afrique
dans les réseaux mondiaux ?
(2/6)

Une approche géographique

par Annie Chéneau-Loquay,
texte mis à jour : novembre 1999

[1. Introduction] [2. Service de base] [3. Nouveaux réseaux] [4. Conclusion] [5. Annexe] [6. Références]

Le service de base : état des lieux cartographique et perspectives des télécommunications

Les innovations technologiques, la baisse des coûts, l'explosion de la concurrence bouleversent le monde des télécommunications. Cette nouvelle donne impose des modifications législatives et réglementaires à tous les pays. (voir le texte de Jean Marchal). Comment l'Afrique va-t-elle affronter le choc de l'ouverture totale du secteur à la concurrence mondiale qui se produit aujourd'hui et avec quelles conséquences ?

L'équipement est un enjeu de taille qui maintient l'Afrique dans une situation marginale. Les changements technologiques rapides, la faiblesse des budgets, la globalisation et la compétition féroce forcent les gouvernants africains à des choix drastiques. Pour améliorer les réseaux internationaux, faut-il investir dans les câbles sous marins à fibres optiques ou doit-on focaliser l'effort sur les satellites de type Iridium ou Inmarsat ? Pour améliorer le service, faut-il introduire la concurrence dans le secteur et comment ? En associant l'opérateur historique avec un partenaire stratégique ou en offrant des licences aux compagnies privées d'opérateurs de cellulaire ? Comment répondre aux besoins de la majorité de la population, pauvre, rurale et illettrée ?

Des réseaux matériels inefficaces

Les réseaux téléphoniques classiques, filaires, en Afrique souffrent pour la plupart des mêmes maux que les autres réseaux matériels ; ils sont mal répartis, discontinus avec un service de qualité médiocre à des coûts extrêmement élevés, mais depuis deux ans, les gouvernements semblent avoir pris conscience des enjeux liés aux télécommu-nications.

Selon les statistiques de l'Union Internationale des Télécommu-nications (UIT), avec 20 % de la population mondiale, l'Afrique ne compte que 2 % du réseau planétaire avec une densité globale très faible; moins de deux lignes pour 1 000 habitants en moyenne (contre 48 en Asie, 280 en Amérique, 314 en Europe - Est et Ouest - et 520 pour les pays à hauts revenus). Il est classique de dire qu'il y a autant de téléphones à Tokyo ou à Manhattan que dans toute l'Afrique sub saharienne.

Une télédensité très inégale mais en croissance (Carte 1)

A l'échelle du continent, on voit se dessiner trois ensembles différents :

- les pays du Maghreb et l'Afrique Australe qui comptent autour de 45 lignes13 pour 1 000 habitants : 56 en Egypte, 101 en Afrique du Sud, 48 au Botswana ;

- l'arc du vide, de la Guinée aux pays intérieurs du Sahel et au bassin du Congo très faiblement équipés avec moins de 2,5 lignes pour 1 000 habitants ;

- les pays côtiers à l'Ouest et à l'Est qui, à l'exception de la Guinée, du Liberia et de la Somalie, comptent pour la plupart entre 2,5 et 10 lignes, le Sénégal et le Gabon seuls se situant au dessus, avec respectivement 13 et 32 lignes.

Depuis 1990, la situation s'est globalement améliorée. La croissance en équipement est plus forte que dans les pays européens (5,7 % contre 4,1 % par an). Elle concerne surtout les pays déjà les mieux équipés (notamment l'Afrique du Nord). Des pays de petite taille s'équipent plus vite, Cap Vert, Gambie, Ile Maurice, avec autour de 20% de croissance de la télédensité en moyenne annuelle de 1990 à 1996. Togo, Bénin autour de 15. Mais le Botswana, le Cameroun, le Sénégal plus vastes ont connu plus de 10 % de croissance. Les pays de la façade Est se distinguent par contre par la quasi-stagnation de l'équipement : Kenya 2 %, Tanzanie 1 %, Mozambique 0,1 %. Les pays où le nombre de lignes a même parfois diminué entre 1990 et 1996 sont ceux où l'État contrôle mal son territoire ; pays en guerre, Liberia, - 13,5 %, Somalie - 2 %, Angola - 6,4 %, ex Zaïre. En Guinée, pays confronté à une difficile reconstruction l'équipement a repris plus 1,6 % ca qui n'est pas le cas de Madagascar, moins 1,5 %.

Un poids démesuré des zones urbaines (carte 2)

A l'échelle nationale, la répartition des lignes entre villes et campagnes n'a pas évolué depuis 1994. La proportion des lignes de la ville principale par rapport à sa population fait apparaître le poids démesuré des zones urbaines et le sous équipement des zones rurales. Mais là encore, au sud du Sahara l'Afrique australe se distingue avec une meilleure répartition de la population et de l'équipement ; moins de 50 % des lignes dans la première ville qui représente moins de 10 % de la population. Par contre, la distorsion est accentuée dans les pays les plus pauvres.

Proportion des lignes dans les capitales par rapport au nombre total de lignes
Asmara (Erythrée)
Bissau
(Guinée Bissau)
Bangui (Centrafrique)
Freetown
(Sierra Leone)
Bujumbura (Burundi)
N'Djamena (Tchad)
97,3 %
96,8 %
91,5 %
88,5 %
87,8 %
82,4 %

Source : UIT, indicateurs 1998

La qualité du service est aussi un indicateur important de la situation téléphonique. Ainsi, les dysfonctionnements sur le continent sont beaucoup plus nombreux qu'ailleurs: pour plus de 100 dysfonctionne-ments par an et par ligne en Afrique, on en trouve 47,9 en Amérique, 26,7 en Asie, 18,7 en Europe et 42,2 en Océanie. En outre, il est difficile d'obtenir une ligne : il faut en moyenne 4,6 ans pour s'en faire ouvrir une. Le délai est supérieur à dix ans dans certains pays (Ethiopie, Tchad, Ghana, Malawi, Mozambique, Zimbabwe). Les lignes sont les plus sous-exploitées du monde, et les compagnies souvent mal gérées et en sureffectifs.

Il existe cependant des exceptions remarquables et, certains pays bien équipés en matière d'infrastructures ont amélioré la gestion des services et la couverture du territoire. Le Botswana et le Sénégal par exemple utilisent des réseaux numérisés à fibres optiques.

Le réseau sénégalais est presque entièrement composé de câbles en fibres optiques. Ce pays a franchi en 1998 le seuil des 100 000 lignes, avec 105 000 lignes principales, portant sa télédensité à 13 lignes principales pour 1 000 habitants. Le Sénégal est de très loin le pays africain qui compte le plus grand nombre de lignes publiques : 6,17 % du total des lignes contre 2,60 en Afrique du Sud, 2,90 au Swaziland. 70 % des habitants sont désormais accessibles par téléphone grâce à la prolifération des télécentres publics, des concessions accordées à des personnes privées par l'opérateur national qui ont généré la prolifération de petites boutiques jusque dans les bourgs ruraux. Le critère d'accessibilité a été retenu pour équiper le territoire (voir plus loin notre texte sur les échanges).

L'accessibilité : un meilleur critère

Le critère international pour comptabiliser l'équipement téléphonique par rapport à la population, la télédensité, n'est pas un très bon indicateur en Afrique pour exprimer le service rendu ; il faudrait raisonner en terme de zones de desserte, d'accessibilité des populations en fonction de la distance par rapport aux postes téléphoniques pour ce qui concerne la majorité de la population, celle qui vit dans les quartiers défavorisés des grandes villes et surtout dans les zones rurales (plus de 70% de la population africaine). En outre, si la télédensité ne tient pas compte de la répartition géographique de la population, elle ne reflète pas non plus les formes d'usages qui différent de ceux des pays développés. Une ligne domestique sert au delà de la famille qui est abonnée et à l'inverse une ligne publique est souvent utilisée par les abonnés pour appeler à l'étranger. Un effort important est fait sur les postes publics, au Maroc, en Afrique du Sud, au Sénégal ; reste posée la question de la téléphonie rurale; qui divise les bailleurs de fonds : faut-il laisser agir le marché, c'est la position de la Banque Mondiale, faut-il défendre le principe de l'accès universel et d'un service public mais qui en supportera les coûts, quel sera le rôle des parties prenantes, peut-on mettre en place des systèmes de péréquation entre zones riches et zones pauvres ?

Comment le service de base va t- il évoluer dans les pays les plus pauvres alors que l'importance du PIB et la télédensité sont en étroite relation ? Les deux cartes qui comparent PIB et télédensité (carte 3) mettent en évidence une forte corrélation entre la richesse produite dans un pays et l'état du service de base en télécommunications : on retrouve pour les deux indicateurs au niveau inférieur les pays enclavés, quatre pays sahéliens Mali, Niger, Tchad, Soudan et l'ex Zaïre et aussi la Somalie tandis que la corrélation est moins étroite pour les pays anglophones de l'Est.

Force du trafic international et faiblesse du trafic inter-africain (carte 4)

La faiblesse du trafic téléphonique interafricain reflète la faible intégration entre les économies du Continent du moins sur le plan formel et l'extraversion de ces pays très liés aux Nords. Cet état de fait n'a pas évolué depuis 1994. Il est significatif de remarquer que c'est en Afrique de l'Ouest que les relations téléphoniques entre les pays sont les plus faibles alors que les échanges commerciaux interfrontaliers réaliseraient au quotidien une intégration "par le bas".

L'Afrique se distingue par un niveau moyen du trafic international sortant, parmi les plus élevés du monde (75 mn par an et par abonné en France, 200 en Afrique) avec de profondes disparités. Ce phénomène peut être interprété de différentes manières. Il exprime :

- d'abord l'importance de la demande non satisfaite, la rareté des lignes rendant leur utilisation plus intense ;

- le choix d'équiper une clientèle solvable qui téléphone davantage à l'extérieur, poids des organismes internationaux, des ONG étrangères ; mais aussi :

- l'importance des migrations internationales et l'ouverture voire l'extraversion des économies.

Il est malaisé de déterminer lesquels de ces facteurs sont prépondérants, on peut cependant au vu de la carte remarquer des différences ou des similitudes significatives entre les pays.

Mis à part le Maghreb, la carte fait apparaître de ce point de vue là encore quatre ensembles différents avec un clivage entre pays anglophones et francophones.

L'Afrique australe se distingue par l'importance du trafic interafricain dans le trafic international, ce qui est un indicateur d'une réelle intégration régionale autour de l'Afrique du Sud et aussi peut être le reflet d'un long isolement par rapport à la communauté internationale. Le contraste est particulièrement frappant entre l'Afrique du Sud et la Namibie ou l'international se situe à un faible niveau relatif (45 mn). Les durées particulièrement élevées au Swaziland (un extrême de 1 240 mn par habitant) et au Lesotho (945 mn), deux pays où la densité téléphonique est relativement forte, s'expliquent par la part prédominante des communications interafricaines (plus de 80 %) qui sont en fait des relations de proximité pour ces pays enclavés très dépendants économiquement de l'Afrique du Sud. A un moindre degré, la Zambie, le Zimbabwe, le Malawi et même le Mozambique lusophone se situent aussi dans l'orbite de l'Afrique du Sud avec une part des communications interafricaines dans l'international qui dépasse les 50 %. Il est à noter que l'Angola lusophone, en proie à une guerre larvée depuis trente ans, fait exception dans la région en ayant peu de relations avec d'autres pays africains.

Un deuxième ensemble comprend sept pays d'Afrique de l'Est et l'ex Zaïre, où le trafic international est le plus faible du Continent. La Tanzanie, le Burundi, le Rwanda, l'Ouganda, l'Ethiopie, l'Erythrée, le Kenya sont les pays les plus pauvres d'Afrique, avec un PIB inférieur à 250 $ par an en 1996 et donc ceux qui entretiennent le moins de relations avec l'extérieur. Quant à la République démocratique du Congo, les installations sont dans un tel état d'obsolescence que le système filaire est laissé à l'abandon au profit de la téléphonie cellulaire dont ce pays fut l'un des pionniers (voir carte 5).

Les pays d'Afrique de l'Ouest ont un trafic international situé entre 200 et 600 minutes avec une distinction entre les pays enclavés, Mali, Niger, Burkina et le Bénin avec environ 50 % du trafic orienté vers les autres pays africains et les pays côtiers de la façade Ouest, l'ensemble guinéo-sénégambien où les relations interafricaines sont inférieures au quart des communications internationales.

Au Burkina (75 % de trafic interafricain en 1994 et 55 % en 1996) dominent les communications avec la Côte d'Ivoire liées à la présence de nombreux migrants. La Mauritanie et le Mali ont les trafics internationaux par abonné les plus élevés d'Afrique de l'Ouest comparables à ceux du Gabon et du Cameroun. Mais au Mali et aussi au Niger la part interafricaine est forte, en relation avec les migrations de travailleurs vers les pôles d'attraction nigérian et ivoirien. Le Bénin "Etat entrepôt" par rapport au Nigeria14 et le Togo ont des liaisons interafricaines beaucoup plus denses que le Nigeria et aussi le Ghana, ce qui est plus difficile à interpréter pour un pays de taille pourtant comparable, avec aussi un commerce transfrontalier conséquent ?

Les pays de la façade Ouest, de la Mauritanie au Ghana sont ceux qui entretiennent le moins de relations téléphoniques entre eux et avec les autres pays africains alors que leur trafic international se situe dans la moyenne autour de 300 minutes par abonné. Comment l'expliquer ? La mauvaise qualité des réseaux techniques, routiers, électriques, téléphoniques qui entrave les communications joue sans doute, sauf pour ce qui concerne le téléphone au Sénégal bien pourvu en télécentres. Pourtant, il existe d'actifs échanges transfrontaliers et les chercheurs ont identifié un "sous espace Ouest tourné vers la mer" qui comprend le sud de la Mauritanie, le Sénégal, la Gambie, les deux Guinée et le sud du Mali où les commerçants jouent des différences et des variations des politiques de prix entre les pays pour diffuser du riz importé depuis les ports au détriment de plus en plus des productions locales15. Mais on ignore très largement l'ampleur de ce trafic de la denrée alimentaire de base, a fortiori donc celle d'autres denrées. Si le fonctionnement des réseaux marchands, sur le mode formel et informel à la fois, commence à être étudié, leur supports matériels et leur logistique reste très largement méconnus.

Des tarifs élevés (carte 5)

Avec les insuffisances de l'équipement, le coût des communications peut expliquer en partie cette faiblesse relative du trafic. Un des paradoxes de l'Afrique réside dans le fait que les tarifs des télécommunications y sont très élevés alors que la population est globalement très pauvre. 60 % des recettes proviennent des appels internationaux et la part des revenus du secteur des télécommunications dans le PIB est beaucoup plus importante qu'ailleurs.

Mais une approche trop globale masque la diversité des situations que la carte fait clairement apparaître.

Le coût de la communication locale pour trois minutes est relativement faible dans les pays du Maghreb au Soudan en Ethiopie et en Afrique australe, à l'exception de la Zambie, moins de 0,05 $, (soit 0,27 F français) ; des tarifs beaucoup moins élevés que dans la plupart des pays développés (0,14 $ en France). En Afrique de l'Ouest les tarifs sont nettement plus élevés avec un maximum au Nigeria, 0,26 $, un minimum au Cameroun de 0,08 et au Sénégal, 0,10. Ces tarifs représentent déjà en eux mêmes un coût élevé pour la majorité des ménages, auquel s'ajoute le prix de l'abonnement.

La mise en relation du tarif des abonnements avec le PIB par habitant fait apparaître des distorsions dans quelques pays. Le Tchad conjugue rareté des lignes, tarifs forts et abonnements très élevés par rapport à un niveau de vie très bas (PIB inférieur à 250 $). Le Soudan par contre ainsi que le Mozambique ont des abonnements très chers alors que les coûts des communications sont plutôt bas. La plupart des pays relativement bien équipés au Nord et au Sud ont su conjuguer des coûts de l'abonnement et de la communication plus raisonnables en fonction de leurs niveaux de vie. L'Afrique de l'Ouest et du Centre se situent dans une position intermédiaire.

On comprend, au vu de ces chiffres, la réticence des États vis-à-vis de la privatisation des sociétés qui leur enlève une ressource essentielle. Le coût excessivement élevé du service est un obstacle au développement des communications mais les récentes ouvertures à la concurrence montrent qu'une brèche est ouverte qui permet à de nouveaux opérateurs de service de s'introduire sur les marchés. Prenant argument des prévarications, la Banque Mondiale pousse à une ouverture totale des marchés de télécommunications en Afrique mais l'installation de téléphones cellulaires intéresse davantage les sociétés privées que la reprise de sociétés nationales souvent inefficaces et obsolètes.


Notes

13. Lignes principales pour l'UIT désigne une ligne téléphonique qui relie l'équipement de l'abonné au réseau public commuté, il est synonyme de poste principal ou de ligne directe de central (50 lignes commutées peuvent desservir 500 postes supplémentaires).[retour]

14 . Voir Igue et Soule "L'Etat entrepôt au Bénin", Paris, Karthala, 1991.[retour]

15. Voir Coste J., Egg J., 1991, (coordonnateurs) Échanges céréaliers et politiques agricoles dans le sous espace Ouest (Gambie, Guinée Bissau, Guinée, Mauritanie, Mali, Sénégal), rapport de synthèse, INRA-IRAM-UNB et OCDE-CILSS.[retour]

revenir en haut de la page

revenir en haut de la page

Responsable du projet :
Annie Chéneau-Loquay
Directrice de recherche CNRS
CEAN (UMR CNRS-IEP)
Maison des Suds
12 Esplanade des Antilles
F- 33607 PESSAC CEDEX
a.cheneau-loquay@sciencespobordeaux.fr

Responsable du site web :
Raphaël Ntambue
CEAN (UMR CNRS-IEP)
Maison des Suds
12 Esplanade des Antilles
F- 33607 PESSAC CEDEX

tntambue@ulb.ac.be

copyright et autres informations légales.